Un hommage aux printemps d’enfance.
Rien n’annonce mieux le printemps que l’émergence des premiers narcisses perçant la terre encore froide. Cette simple vision suffit à déclencher tout un monde de souvenirs, des paysages, des odeurs, des moments suspendus dans la lumière claire de l’entre-saisons.
Avoir grandi dans la campagne écossaise fut, avec le recul, un immense privilège. Parmi mes souvenirs les plus précieux figurent ces longues errances printanières dans les bois près du village. Dès les premiers redoux, les sous-bois devenaient un théâtre d’arômes en pleine effervescence : muscaris, jacinthes, perce-neige, jacinthes des bois… et surtout, des milliers de narcisses formant un tapis ondulant sous les châtaigniers, les chênes et les hickorys – ces arbres un peu étrangers, plantés il y a longtemps par la famille d’un ami.
Un petit ruisseau serpentait au cœur de ce tableau vivant, tantôt furieux, tantôt paisible comme un miroir. Mais ce sont les narcisses qui m’ont toujours marqué le plus profondément. Leur parfum étrange, lumineux, presque irréel, emplissait l’air d’une chaleur diffuse. Parmi eux, les jonquilles tenaient une place toute particulière dans mon cœur. Elles étaient – et sont toujours, mes préférées.
Tout autour des bois, des champs de foin cernaient la clairière, ajoutant à cette immersion sensorielle une dimension bucolique et intensément vivante, surtout lorsque le printemps glissait doucement vers l’été, puis vers les premières moissons.
Je passais des heures sous les arbres, avec un livre ou un magazine, à lire, rêver, respirer. Ces moments ont forgé ma sensibilité, ma mémoire olfactive, et ont directement nourri l’âme de Vernus, tout comme celle d’Athenaeum.
Les souvenirs olfactifs ont ce pouvoir sidérant de traverser le temps. Des années plus tard, lors d’un voyage dans le Massif central, je suis tombé sur un champ de narcisses mêlés à un pré de foin. L’odeur m’a instantanément ramené à mon enfance, à ces cabanes perchées, aux balançoires lancées au-dessus du ruisseau, aux foins ramassés par d’immenses machines. J’ai rempli un carnet de notes et d’impressions olfactives, dans l’espoir d’un jour leur donner forme.
J’espère qu’il éveillera en vous, ne serait-ce qu’un instant, un souvenir enfoui de lumière, de vent tiède et de fleurs sauvages.